Au printemps 2010, Eugene Chadbourne, guitariste et banjoïste mythique de la scène underground américaine était de passage à Lyon pour un concert dans un lieu aujourd’hui disparu : la librairie Grand Guignol, sur les pentes de la Croix-Rousse. Le créateur de son Bertrand Larrieu en avait judicieusement fait une excellente prise de son, que Lionel Martin a décidé de publier en vinyle, avec une pochette illustrée par un dessin signé Damien Grange. A l’occasion de cette sortie, nous avons pu nous entretenir, par mail, avec le grand Doc Chadbourne.

Extrait d’une BD sur Eugene Chadbourne © Nicolas Moog
Vous avez une relation particulière avec la France… Pourquoi ?
Eugene Chadbourne : Mon père, le Dr Richard Chadbourne, était professeur de littérature française, spécialiste des essais. Il a écrit plusieurs livres sur ce sujet, sur Ernest Renan en particulier. Il a pris un congé sabbatique pour ses recherches au début des années 60, ce qui lui a permis d’amener sa famille en France pendant six mois. Nous avons vécu à Aix-en-Provence.
Qu’est-ce que vous aimez ou détestez dans notre pays ?
E G : Si je vous disais tout ce que j’aime, cela rendrait votre article beaucoup trop long ! Par exemple, juste une réponse sur la nourriture prendrait plusieurs pages, et interférerait avec mon projet de me faire une excellente omelette pour mon petit déjeuner ! J’ai eu l’occasion d’étudier vraiment la fabrication de ce plat un matin en France. J’étais avec un ami. Nous allions voir quelqu’un dans une école de cuisine où les élèves passaient leur examen final. Ils devaient faire une omelette devant l’examinateur (dans le jardin, sous le soleil chaud !). Nous allions voir cette personne pour acheter du haschisch. Cette histoire en dit long sur les possibilités de la culture française !
Ce que ne n’aime pas… Disons que nous avons tous des problèmes avec la politique !
Avez-vous souvent joué en France ?
E G : Oui, je suis très heureux d’avoir pu jouer dans de nombreuses régions de France.
Et à Lyon plus précisément ?
E G : Oui, je suis sûr d’au moins trois spectacles à Lyon, un que j’ai beaucoup aimé s’était passé en plein air dans un parc, au bord de la rivière. C’était un été si chaud que les organisateurs avaient pensé qu’ils tueraient les gens si le concert était à l’intérieur d’un club, sans fenêtres. Je me souviens qu’il faisait très chaud aussi pour le concert du Grand Guignol.
Je viens à cet album enregistré à la librairie Grand Guignol… Que vous souvenez-vous de ce concert ?
E G : Était-ce l’été du volcan en éruption en Islande ? Je me souviens de beaucoup de graves difficultés pendant le voyage, mais j’ai eu de la chance et j’ai pu commencer la tournée. Aussi, à la même période (ou pas ?) il y avait une grève des conducteurs de train. Donc tous les passagers se grimpaient sur les uns sur les autres et pour les gens qui avaient des réservations, et transportaient des instruments de musique c’était une épreuve. C’est sûr que je me souviens que ma belle-mère est morte le jour de ce concert. Elle n’était pas si gentille que ça avec ma femme, donc c’était très important. J’ai dû envoyer l’argent du concert de la veille (à Montreuil, Les Instants Chavirés je crois), par Western Union depuis Lyon, et comme ma femme était avec la belle-mère sur son lit de mort, une de mes filles a dû récupérer l’argent et le mettre sur mon compte bancaire pour pouvoir payer les factures. C’est le genre de chose dont je me souviens, mais peut-être que ce n’est pas si excitant pour les journalistes !
Saviez-vous que ce concert avait été enregistré ?
E G : J’ai dû être au courant de cet enregistrement à l’époque, mais quand Lionel m’a contacté, je l’avais complètement oublié.
Que pensez-vous du disque, en particulier de sa couverture ?
E G : Je suis très heureux de ce disque. J’ai aimé l’idée de présenter ce set de banjo. Cette collection de chansons, je la faisais souvent à cette époque et je les aime beaucoup. « The Drift » ou « Adrift » parle de ma ville natale, de mon adolescence et des ennuis que nous avions avec les filles. « The Water Song » était basé sur un rapport sur la corruption en Afrique. C’était amusant à jouer. J’aime beaucoup la couverture. Souvent sur les dessins, vous n’êtes pas trop beau ! Celui-ci, je dois dire que je l’aime. J’aime sa simplicité. Et l’impression est excellente !
Comment va la scène underground aux Etats-Unis en ces temps troublés ? Est il est encore possible de travailler, de donner des concerts ?
E G : Les seuls événements auxquels j’ai participé était en live streaming. C’était amusant de jouer sans quitter la maison. Fondamentalement, je n’aime plus avoir à partir. J’ai été en tournée avec très peu de pauses depuis mes 20 ans, donc cela fait plus de 50 ans maintenant. J’ai eu des expériences merveilleuses, mais c’est une vie difficile, usante, et c’est de plus en plus difficile…. Je prends enfin une pause et ma santé s’en porte mieux ! J’ai beaucoup de temps pour travailler, créer. C’est terrible de penser que c’est ce fléau qui me donne cette occasion. Quand j’y pense, je peux l’ajouter à la liste des mauvaises manières qui m’ont été faites par la culture qui m’a souvent traité inéquitablement…
Quelle est votre actualité ? Prévoyez-vous, dans la mesure du possible, de revenir en France ?
E G : Je ne sais pas si je vais recommencer à tourner, ni quand. Je n’ai qu’un seul festival prévu, au Stone à New York en 2022… et je me demande si il aura lieu. A la maison, je suis très occupé cependant ! En fait, je travaille sur un grand projet autour d’un mes compositeurs préférés – et il est Français – Olivier Messiaen. J’adapte le Catalogue d’oiseaux pour banjos. Je fais aussi toutes les peintures des oiseaux de cette série de compositions. Et je suis très occupé à traiter les commandes, de toutes les époques de ma carrière, dans tous les formats – cassettes, cd, vinyle, téléchargements…. Beaucoup de gens sont intéressés donc je suis assis sur une sorte de coffre au trésor. Chaque jour il y a un peu d’argent à récolter !
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Eugene Chadbourne, BiographieAvec un côté compulsif, Eugene Chadbourne, multi instrumentiste d’avant-garde, a enregistré un flot incessant de disques sur de multiples labels dont les siens (Parachute dans les années 1980, House of Chadula depuis les années 2000). Sa musique pourrait être décrite comme la version la plus étrange de la musique country et folk jamais jouée, avec un jeu de guitare et de banjo à l’énergie folle et unique. Dur, drôle, irritant et bourré d’idées, Chadbourne pourrait, dans son genre, être comparé à Frank Zappa. Ce qui n’est pas rien ! |