La toute nouvelle production de Ouch ! Records, ZANZIBARA, est arrivée dans les bacs ! Double LP synthèse de la fameuse collection Zanzibara produite par Buda Musique, le projet a été réalisé avec la collaboration de l’ethnomusicologue Werner Graebner,  spécialiste des musiques populaires swahili de la côte orientale de l’Afrique et directeur de la collection. Interview exclusive.

Quelle est l’origine de cette collection ?

Je travaille dans cette zone (Kenya, Tanzanie, et Comores) depuis le début des années 1980 comme chercheur universitaire. Vers 1985, j’ai commencé à étudier l’histoire de la musique populaire du 20e siècle et son lien avec le développement et la diffusion de l’industrie du disque au Kenya.

Je me suis ensuite concentré sur la Tanzanie et la muziki wa dansi (dance music) qui était alors la forme de musique la plus populaire dans tout l’Est de l’Afrique. C’est aussi dans des villes de la côte Est comme Mombasa, Tanga, Dar es Salaam, Zanzibar que j’ai rencontré le taarab, genre très populaire parmi la population musulmane de la région.

Outre mes activités d’enseignant et mes recherches, j’ai aussi commencé à travailler dans les médias (radio et écrit) et à aider à mettre en place des sessions d’enregistrement pour lascène « world music » alors émergente. Les invitations pour les festivals européens et les tournées internationales ont suivi. C’était à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Au fil des ans, j’ai produit en freelance des compilations de musique d’Afrique de l’Est pour plusieurs labels tels que GlobeStyle, Network, Virgin, World Village, etc.

Toutefois je sentais que j’avais besoin d’un autre canal pour pouvoir mieux présenter cette musique dans son contexte. Francis Falcetto m’a alors présenté Gilles Fruchaux et Buda Musique. C’est comme ça qu’est née la collection Zanzibara, en 2005.

Le nom Zanzibar, signifie en arabe la «terre des Noirs». Il a été donné par les géographes arabes du Xe siècle aux villes-états swahili de la côte Est africaine. Ici je l’ai pris comme terme générique pour représenter diverses musiques en langue swahili et les principales formes de taarab et muziki wa dansi émanant de l’Afrique de l’Est.

Présentez-nous plus précisément ce que l’on va trouver dans le double LP…

 WG : Il s’agit d’un mélange d’archives : enregistrements de labels est africains des années 1950 à 1980 ou enregistrements de la radio nationale, essentiellement pour la Tanzanie. Le tout est complété par des titres contemporains d’artistes particulièrement intéressants, connus ou émergents.

Comment avez-vous procédé pour faire votre choix pour le double LP Ouch Records ?

 WG : La sélection devait être représentative de la collection et de chacun de ses volumes, mais devait aussi avoir du sens. J’ai donc essayé de donner à chaque face sa propre cohérence tout en conservant l’esprit de la collection.

Les faces A et B sont dédiées à l’apogée de la muziki wa dansi, qui s’étend des années 1970 au milieu des années 1980. Mbaraka Mwinshehe (de Morogoro en Tanzanie) était l’artiste le plus populaire de la côte Est durant les année 1970, avec toute une kyrielle de hits et des tournées dans tout l’Est et le Sud-centre de l’Afrique. Il est malheureusement décédé dans un accident de voiture en 1979 pendant une tournée au Kenya.

Formé en 1978, le Mlimani Park Orchestra a pris le relais dans les années 1980 avec les arrangements complexes de sa section de cuivre, l’interaction de 3 guitares et l’accueil de chanteurs/auteurs stars, comme Hassani Bitchuka et Cosmas Chidumule.

Les Tanzaniens adorent les chansons de Marijani Rajab pour son traitement poétique de la vie quotidienne. Et pour sa voix inimitable capable de faire ressortir toutes les nuances des sentiments.

Orchestra Maquis Original reste un exemple de ce que les Congolais ont importé à la scène musicale de Dar es Saalem. Dans les années 1970, bon nombre de groupe de la zone du Kivu, de la région de Lubumba ou de l’Est du Congo ont franchi la proche frontière qui les séparaient de Dar es Salaam et y ont trouvé un havre de paix.

L’International Orchestra Safari Sound sonne comme un mélange de Mlimani Park et de Maquis. Et en fait c’est ce qu’il est, puisque le groupe a été formé en 1985 par quelques rebelles des deux groupes. La rivalité entre ces deux groupes – qui se défiaient en chansons – était le principal sujet de conversation à Dar es Salaam, quand j’y vivais, au milieu des années 1980.

Pour la face C, j’ai sélectionné des chansons des débuts du muziki wa dansi, de groupes des années 1960, qui représentent le mieux le son de la Tanzanie de l’époque : Salum Abdallah & Cuban Marimba, Mbaraka Mwinshehe en tant que membre du Morogoro Jazz Band, premier groupe national de Nuta Jazz.

Matano Juma et Zuhura Swaleh comptent parmi mes chanteurs de taarab favoris. Tous les deux sont de Mombasa et ont été très populaires entre la fin des années 1960 et les années 1980. Matano n’a pas seulement une voix exemplaire, il a aussi renouvelé le taarab avec le son psychédélique de l’orgue, un violon électrique et une batterie introduite dans les percussions traditionnelles.

Zuhura Swaleh a introduit les rythmes rapides du chakacha et ses tambours ngoma dans le taarab. Il était aussi un champion du chakacha grivois !

Le fil conducteur de cette face c’est Mzuri Records. Toutes les pistes sont issues de leur fond. Basée à Mombasa, fondée dans les années 1940 et très active dans les années 1970 Mzuri Records était l’une des plus vieilles maisons de disques locales.

La face D est dédiée à des enregistrements acoustiques plus récents de taarab : en 2005, l’Ikhwani Safaa Musical Club, un des principaux orchestres de taarab de Zanzibar, a célébré son centenaire. “Ving’aravyo” (daté des années 1950) est l’une des plus populaires chansons de leur répertoire. Elle est ici chantée par son chanteur d’origine Maulidi Moh’d Machaprala.

Bi Kidude était une des références de la tradition du taarab de Zanzibar, gardant vivantes les compositions du chanteur Siti Bint Saad très connu dans les années 1920. Kidude était dans sa 85e année quand elle a enregistré “Kijiti”, en 2005.

Rajab Suleiman & Kithara ont fait entrer le son “classique” (acoustique) du taarab de Zanzibar dans le XXIe siècle. Dirigé par le virtuose du qanun Rajab Suleiman, ils sont aujourd’hui l’un des rares groupes à préserver cet héritage en le renouvelant par de nouveaux éléments comme les rythmes ngoma ou des techniques avancées de qanun.

Propos recueillis par Emmanuelle Blanchet

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